Publié le 05 août 2012 à 14h30
À bon port
Tenue
pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier
voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne
course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est.
L'équipage
du EDF Énergies nouvelles et le journaliste Simon Boivin (à droite)
Le
Soleil, Simon Boivin
(Saint-Malo)
Alors voilà. Une traversée de l'océan Atlantique, une.
En plein coeur de la nuit, dimanche, à 3h45, l'EDF Énergies nouvelles a franchi la
ligne d'arrivée dans le port de Saint-Malo. Après quelques sueurs froides.
Deuxième chez les «vintages», 15e au total. Plus de 13 jours en mer.
Il est tout à fait vrai que les vagues continuent de nous faire tanguer
bien après être débarqués du bateau. L'impression que le sol bouge sous ses
pieds prend un certain temps à se dissiper. Même le lendemain, vos jambes
obéissent par moments à des commandes qui ne viennent pas de vous.
Fou à quel point, à terre, répondre à des rages qui vous rongent en mer
pendant des jours est d'une banalité déconcertante. Moins de deux heures après
notre arrivée, une bière était bue, une douche chaude prise et un repas frais
englouti. On y a pensé tellement souvent pendant si longtemps. Affaire
classée. Reste plus qu'à trouver une crème glacée pour l'équipier Jeffrey
Macfarlane.
La copine de notre skipper a déniché un petit appartement tout près du
port, face à la mer, juste à côté de la plage. Juste parfait. Après autant de
jours à se marcher sur les pieds, on aurait pu s'attendre à ce que chaque
équipier profite de son retour sur le plancher des vaches pour prendre un peu
d'air. Mais non. On a passé le premier après-midi sur nos ordinateurs à
répondre à des courriels et à s'échanger films et photos, dans une cuisine pas
plus grande en pieds carrés que la cabine du bateau.
Sur les quais, les skippers s'échangent les anecdotes du périple.
Certaines énigmes de la course se résolvent. Dans les écluses et à la marina,
au passage des bateaux de la Transat, des gens applaudissent. Un village de la
Transat a été érigé sur les quais. Certains coureurs sont encore en mer.
Des inquiétudes en mer? Parfois. Au début, lorsque les bruits du bateau
ne nous sont pas familiers. Le vacarme de la course est incessant et
assourdissant dans la cabine. Puis, à mesure que la confiance se prend dans la
solidité du voilier, ce sont dans les yeux du skipper que naissent certaines
de nos insécurités. Quand lui semble inquiet, vous n'avez aucune raison de ne
pas l'être. Comme avant de contourner la bouée de Gaspé, quand le vent a lâché
et qu'on ne savait trop si les vagues nous pousseraient contre la falaise rocheuse.
Ou quand une grosse dépression est née dans le sud-ouest de l'Irlande. Ou
quand l'étai du mât a lâché.
Des scènes resteront gravées dans la mémoire. Ce coude à coude sur fond
d'orage près de Matane avec quatre autres bateaux. Les dauphins dans l'océan.
Toute la charge d'une mer qui se monte. La pleine lune.
À partir d'un certain niveau de connaissance de leur art, des marins
sentent le besoin de se mesurer à d'autres en course. Ils ne voient pas
l'intérêt d'une simple balade en mer. Il faut tirer le maximum des éléments à
disposition pour les mettre au service de la vitesse de coque. Autrement,
c'est du gaspillage.
Pas facile la course en mer. Peu de confort. Énormément de travail pour
des gens qui, souvent, naviguent pendant leurs vacances. Du stress et des
dépenses aussi. Il y a une aura très romanesque autour d'une transat. Mais le
quotidien est parfois pénible. Il faut une passion dévorante pour s'imposer de
tels efforts.
Une chance unique et une expérience extraordinaire que cette traversée de
l'océan. Notre dernière? Peut-être pas. Qui sait. Mais en course?
Probablement.
Merci à Nany Ferreira, la conjointe d'Augeix, pour tous les petits soins.
Et merci au skipper David Augeix, au second Rémi Fermin et à l'équipier
Jeffrey MacFarlane. Merci à eux trois de nous avoir sauvé la vie. Plusieurs
fois par jour. Chaque jour.
Publié le 05 août 2012 à 05h00
Et si Saint-Malo n'existait pas...
Tenue
pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier
voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne
course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est.
Malgré
les super couchers de soleil, l'équipage de l'EDF Énergies nouvelles a hâte de
terminer l'aventure.
Photo
collaboration spéciale Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
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Peut-être
qu'au fond, tout ceci n'est qu'une vaste supercherie dont le dessein tordu
nous échappe encore. Ou une expérience secrète de scientifiques de la NASA sur
la résistance humaine au mauvais sort.
Trente miles nautiques. C'est tout. Au cours des 14 derniers jours, on
s'en est claqué plus de 2600. Trente miles, c'est une blague. Ça prend deux,
trois heures maximum. Un saut de puce.
Trente miles et c'est Saint-Malo, l'arrivée, le quai, les retrouvailles,
les tapes dans le dos, les agapes. D'ici, on entend presque le son des verres
qui s'entrechoquent à la santé des uns des autres. Mais ce n'est pas pour
nous. Notre barque est maudite.
L'EDF Énergies nouvelles
a frappé du vide. Comme dans le fleuve, peu après le départ. On a cru
longtemps arriver samedi matin. Puis midi, puis soirée, puis nuit. Finalement,
rien du tout, pas de vent, et même du courant dans le nez. Il y a de fortes
marées dans la Manche. Peut-être une partie de la nuit à l'ancre. On s'éloigne
de la côte pour quémander une brise au large.
Le skipper ne veut plus faire de pronostics. Peut-être cette nuit,
aujourd'hui, Noël, allez savoir. Cette impression indélébile que les bateaux
derrière rigolent en regardant nos statistiques de vitesse se liquéfier. Et
d'être cet abruti de lièvre qui dort à poings fermés pendant que les tortues
reprennent du terrain. Avec le résultat que l'on sait. Cela ressemble à
s'aplatir à 50 mètres de l'arrivée d'un marathon. La faible distance qui nous
sépare de la fin ajoute à la frustration.
Faut pas croire. On se plaît bien, tous les quatre. Des super couchers de
soleil, de la rigolade et tout. Mais on compte quand même les dodos. Tout le
monde a hâte que ça finisse pour vite aller raconter combien il aurait aimé
que ça dure plus longtemps.
«Tu peux dire dans ton truc qu'il fait un beau soleil breton», raille
notre skipper David Augeix. Ouais, les Français du sud aiment bien se moquer
de la météo au nord. Là, il pleut. Un beau soleil breton.
Côte en vue
Mais il ne faudrait pas que tout ceci éclipse la vraie nouvelle du jour:
on voit la côte. Française, pas de boeuf. Quand même, après 14 jours en mer,
ça fait quelque chose de la voir apparaître. On pratiquait nos noeuds de
chaise et de cabestan quand elle s'est montrée le bout de la Bretagne. On a
croisé quelques plaisanciers, doublé quelques phares. C'est joli. Ça donne à
l'oeil de quoi manger. Aussi, ça rassure un peu. S'il vous arrive un pépin
majeur, les secours ne sont plus au bout du monde. Finalement, ça vous met aussi
dans l'esprit que les amarres seront larguées sous peu.
On peine à croire qu'on ne sera pas à quai demain. Voire au cours de
cette nuit, si un vent favorable peut se lever. En même temps, reste la
possibilité théorique que, d'ici là, une baleine nous avale. Alors prudence.
Ne pas trop s'avancer.
*** L'EDF
Énergies Nouvelles a
atteint les côtes de Saint-Malo dans la nuit de samedi à dimanche à 3h45 heure
locale (21h45 samedi soir, heure de l'Est).
Publié le 04 août 2012 à 05h00
Là où le mât blesse
Tenue
pour la première fois en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire du premier
voyage de Jacques Cartier, la Transat Québec-Saint-Malo est la plus ancienne
course transatlantique sans escale en équipage à être disputée d'ouest en est.
Les
vagues mastodontes qui poussent et se dressent tout autour puis rentrent le cou
pour faire basculer le bateau sur leur dos offrent un spectacle hypnotisant.
Photo
collaboration spéciale Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
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Soupir.
David Augeix regarde un peu dépité son imperméable détrempé qu'il enfile pour
la Xème fois au petit matin. «Et ils osent appeler ça des cirés étanches.»
On devrait toucher les côtes françaises samedi, en soirée. Mais elles ne
se seront pas laissées prendre facilement.
La nuit de jeudi à vendredi n'a pas été de tout repos pour les trois
marins du EDF Énergies Nouvelles
qui se sont succédé à la barre. Vagues gargantuesques, pluie battante, rafales
de vent à 40 noeuds. On demande à Rémi Fermin, second à bord, qui aime bien
l'action en général, s'il s'est amusé. «Pas trop.» Une vague déferlante a
cassé juste au-dessus de la tête de l'équipier Jeffrey Macfarlane, qui n'avait
pas complètement fermé son imperméable. Trempé jusqu'aux os, dès son premier
quart. Prélude à une nuit longue et froide. Tous deux ont été bousculés par
des déferlantes à la barre. Et des bateaux de pêcheurs ont ajouté au stress de
la navigation.
Spectacle hypnotisant que celui des vagues mastodontes qui poussent et se
dressent comme des murailles tout autour, puis rentrent le cou pour faire
basculer le bateau sur leur dos. À perte de vue, prenant des allures de
chaînes de montagnes, elles se font et se défont dans un mouvement perpétuel
au ralenti.
Ces conditions joueraient moins sur les nerfs de notre skipper si le
bateau était en parfait état. Or, la perte de l'étai fragilise la stabilité du
mât et la tranquillité d'esprit d'Augeix du même coup. Dès lors, le moindre
nouveau bruit apparaît suspect. Le skipper connaît trop bien le risque. Un mât
cassé n'a rien de très aidant. «Un nouveau mât tout gréé, c'est peut-être 20
000 euros. Mais le vrai problème, c'est comment se sortir d'ici. On n'est pas
à 10 miles de la côte, et je n'ai pas envie d'abandonner le bateau en mer,
moi.» Alors, même s'il préférerait mettre toute la gomme, il joue de prudence.
D'autant que, pour lui et l'EDF,
cette transat restera la «traversée diabolique», comme l'a baptisée une de ses
collègues. Récapitulons les écueils. Un mois avant le départ, Augeix se
fracture un coude et un avant-bras en vélo de montagne. Il barre avec deux
attelles. Une semaine avant la course, il frappe une bouée, ce qui entraîne
des réparations importantes. En mer, on déchire le grand spinnaker et l'étai
éclate. La croisière s'amuse.
Au total, les positions ne devraient pas trop changer d'ici la fin de la
course. Nous sommes trop loin du premier bateau vintage, le Seven Stars, pour
le rattraper. Et nous maintenons une allure suffisante pour se croire hors de
portée de nos poursuivants. À moins d'imprévus, il n'y aura pas les lettres
honnies «DNF» - pour Did Not Finish
- à côté du nom du bateau d'Augeix.
On nous avait prévenus qu'il était possible d'avoir des hallucinations
auditives en mer. Vendredi, en cours de nuit, on a clairement eu l'impression
d'entendre un hélicoptère survoler le voilier. Pendant un bon moment. Même si
l'on était trop loin des côtes pour que ce soit le cas. Et que l'on s'est
familiarisé aux bruits du voilier. «C'est tout à fait normal, rassure Rémi Fermin.
Ce doit être la fatigue.» Quand même, un peu de terre ferme semble tout indiqué.
Publié le 02 août 2012 à 05h00
Les soirs de cassoulet
Pour faire
plaisir à l'équipage, Rémi Fermin, second à bord, a fait chauffer une conserve
de cassoulet dans la bouilloire au propane.
Photo
collaboration spéciale Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
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Une fois, parti en mer pour une expédition de 20 jours, notre skipper
David Augeix n'avait apporté des vivres que pour 10 jours. Et ne s'en était
aperçu qu'après cinq.
«Je buvais l'huile des boîtes de sardines», se souvient-il péniblement.
En découle une philosophie assez stricte sur son bateau: pas de
gaspillage. On ne jette rien. On finit la dernière lampée de chaque bouteille
d'eau et on termine son morceau de pain.
L'autre jour, on tend au skipper une boîte de thon pour qu'il la jette
pour nous. «Il en reste?» qu'il nous fait, sur un ton inquisiteur. Tout à
coup, pris par surprise, l'impression d'avoir cinq ans. «Non, non, j'ai tout
mangé.»
Mercredi, Rémi Fermin, second à bord, nous a fait plaisir. Il a fait
chauffer une conserve de cassoulet dans la bouilloire au propane. Hum. Saucisse,
porc, flageolets. Bombance. Jeffrey Macfarlane, l'autre équipier, n'en a pas
voulu. Trop riche pour la mer, selon lui. Jeff raffole de la bouffe
lyophilisée. Ça, nous en avons une belle variété: des couscous, des pâtes, des
plats à base de riz, etc.
Pour notre part, la lyophilisée, ça ne passe pas. Peut-être parce qu'on y
a été initié au moment où le mal de mer prenait ses aises. Quoi qu'il en soit,
après quelques tentatives, il faut se rendre à l'évidence. Même qu'on a dû en
jeter. Mais dans le dos du skipper. On n'est pas fou non plus. Pas envie de
finir aux fers. Alors, on préfère ne pas prendre de risque et s'en passer. Et
attendre sagement les soirs de cassoulet.
Autrement, deux caisses de plastique regorgent encore de conserves de
rillettes, de pâtés de campagne, de thon, de sardines. Tous des produits
français qui restent du convoyage entre la France et le Québec pour la
Transat. Deux autres sacs de bouffe aussi, dans lesquels ont disparu à vue
d'oeil un gros morceau de jambon de Parme, de la viande des Grisons, du
parmesan, des barres tendres, des noix, des fruits séchés, du gruau et
quelques desserts sucrés. Plus des miches de pain brun. Très brun.
Il y avait des fruits aussi, au début, des bananes, des pommes, des
oranges. Jeffrey a une allergie au gluten, alors on ne touche pas à ses
rations quotidiennes de sandwichs aux galettes de riz beurre d'arachide et
confiture.
Onzième jour en mer. Forcément, certains trucs commencent à nous manquer.
Surtout la nourriture fraîche, genre la salade. D'avance, on peut vous
certifier ce que ce sera si, comme promis, David nous amène au pub L'Univers à
Saint-Malo à notre arrivée. Un steak. Épais comme ça.
Techniquement, on devrait terminer la course samedi après-midi. Nous
perdons des places en raison des dommages au bateau qui nous forcent à lever
le pied. Nous terminerons amochés, mais nous terminerons.
P.-S. - Nos amis français sont fascinés par nos histoires de grève
étudiante et de commission d'enquête sur l'industrie de la construction.
Alors, il les a déclenchées, ces élections, M. Charest?
Publié le 01 août 2012 à 05h00
Songes d'une nuit d'étai
L'équipage
a passé à un cheveu de se retrouver sans mât à 1000 milles nautiques de la
terre la plus près.
Photo Le
Soleil, Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
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David
Augeix était furax, la nuit dernière, quand il a frappé du poing dans un hublot.
Nous venions de passer à un cheveu de perdre le mât.
Encore une fois, tout le monde s'est précipité sur le pont en pleine
nuit, vers 3h. Mais pas pour observer la lune presque pleine. Un bruit sourd
suivi d'une secousse a fait craindre le pire. Avions-nous frappé quelque
chose?
Non, mais les dégâts étaient néanmoins importants. Notre étai, la tige de
fer fixée à l'avant du bateau qui empêche le mât de basculer vers l'arrière,
pendouillait à l'eau, avec la voile qui y était hissée. Branle-bas de combat pour
récupérer le tout, dans le noir, la fraîcheur de la nuit et sur une mer
agitée.
Heureusement, une autre tige reliée au mât, le bas étai, était restée en
place après l'utilisation d'une autre voile. C'est ce qui a permis au mât de
rester debout, et d'être ensuite solidifié du mieux possible par une corde.
«Sans cela, nous nous retrouvions sans mât, à 1000 milles nautiques de la
terre la plus près», a constaté le skipper du EDF Énergies nouvelles après le
remue-ménage.
Reste que ce bris nous empêche d'utiliser à leur plein rendement la
plupart de nos voiles. Mais, plus frustrant encore pour Augeix, la pièce qui a
cassé sur l'étai est exactement celle qui lui a fait le même coup lors de sa
course sur la Route du Rhum, en 2010. Il a alors perdu six rangs au classement.
Hier, il n'aurait pas fallu que le skipper tienne par la peau du cou celui qui
lui a vendu l'émerillon défectueux en question. Il parlait même de poursuite.
Comme ça a été le cas lorsqu'on a déchiré notre grand spi, il y a trois
jours, Augeix a commencé à parler d'oublier la course. «Il faut d'abord
ramener les quatre bonshommes, puis le bateau en bon état», a-t-il insisté. Il
a jonglé longtemps avec ce scénario.
Et, comme dans le cas du spi, l'état du classement général a revigoré
notre skipper. Neuf heures après les complications, nous tenions toujours
notre 10e rang au total, et étions encore premiers parmi les six bateaux
vintage - plus âgés - de la course. Même si l'écart se rétrécit.
Étrangement, après l'épisode du spi éclaté, la voile que nous estimions
idéale pour notre allure et sur laquelle il a fallu tirer un trait, les
statistiques nous ont donné la meilleure performance de tous les bateaux sur
le plan de la distance parcourue sur 24 heures.
Le skipper est maintenant convaincu. Nous protégerons le mât avec des
allures, du voilage et un parcours prudents. Et souhaiterons que la mince
avance que nous détenons sur nos plus proches concurrents suffira à les garder
à distance jusqu'à Saint-Malo. Ce sera serré. Encore quatre jours à tenir.
Le périple nous en apprend sur la dent sucrée du skipper Augeix et son
rapport au sucre. Après un coup dur, il sort des nounours en jujube, des
fraises à la guimauve... Après la mésaventure de l'étai, quand chacun est
retourné dans sa couchette un peu débiné, il a offert une tournée. «Tu veux un
bonbon?» Bien sûr. Tiens, des bonbons menthe. Patricia Kaas a raison. Ça fait
du bien quand il pleut.
Publié le 31 juillet 2012 à 05h00
Un ami bidon
Dans le
bidon de survie recèle d'une multitude d'outils pour aider les secours à
localiser les naufragés. Fusée d'alarme, fumigènes, téléphone Iridium, radio,
GPS, etc. Un ensemble de pêche est aussi obligatoire.
Photo Le
Soleil, Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
||
(Québec)
Sur un bateau, vous courez toujours après vos trucs. Où j'ai foutu mes
lunettes de soleil? Ma lampe frontale? Ma tuque? Ma fourchette? Pariez que,
règle générale, vous retrouverez en premier ce que vous ne cherchiez pas sur
le coup.
Il y a néanmoins une chose dont chacun doit connaître l'emplacement exact
en tout temps. Même si l'équipement est constamment charrié d'un côté et de
l'autre pour balancer le bateau, ce que les Français appellent «matosser».
Mais est-ce vraiment un verbe?
Une chose, donc, sur laquelle on doit tous pouvoir mettre la main en un
éclair : le bidon de survie. Présentement, il est sous la bannette arrière
bâbord.
À mesure qu'autour de notre position radar, les bandes bleues de l'océan
s'élargissent, on trouve un certain réconfort dans la présence d'options de survie
plus immédiates que le 9-1-1.
Alors, on fait quoi s'il faut abandonner le navire, les femmes et les
enfants d'abord? Plongeons hardiment dans cette caserne d'Ali baba qu'est le
bidon de survie.
Il faut d'abord savoir qu'un radeau gonflable avec un déclencheur se
trouve à l'arrière du bateau. Il contient déjà des biscuits, petits, mais très
consistants, de l'eau avec des minéraux et un couteau à la pointe arrondie,
pour éviter de percer le radeau.
Le bidon de survie, qu'il faut penser à emporter, recèle une multitude
d'outils pour aider les secours à localiser les naufragés. Des fusées
d'alarme, des fumigènes, un liquide qui rend l'eau fluorescente autour du
radeau. On y trouve aussi un téléphone Iridium de secours, dans son sac
étanche, une petite radio VHF et un GPS, chacun avec leur pile de rechange.
Une borne pour être détecté par radar a aussi sa place dans le bidon. De même
que des couvertures de survie, faites de plastique résistant très mince,
emballées chacune dans un format serviette de table, et une lampe de poche à
dynamo.
Le marin a l'obligation d'y mettre aussi un petit ensemble de pêche. Mais
notre skipper ne cache pas qu'il craint surtout que les hameçons ne percent le
radeau.
«Pour pouvoir naviguer en haute mer, il faut que la moitié de l'équipage
ait suivi un cours de survie valable pour quatre ans, explique David Augeix.
L'approche n'est pas la même si l'on se fait secourir par un cargo, un avion
ou un hélicoptère.»
Plutôt que de se faire arroser à répétition par les embruns qui cassent
sur la coque, et peiner à faire sécher leurs vêtements ensuite, l'équipage du EDF Énergies nouvelles passe de longues
heures à l'intérieur de la cabine. Bien ajusté, le pilote automatique fait
très bien le travail.
«Beau milieu de l'océan»
Mais quand, sur l'écran de bord, le petit point qui indique la position
de notre bateau est apparu pile au centre de l'Atlantique, on n'avait guère le
choix. Le Soleil devait le
voir, ce fameux «beau milieu de l'océan». On voulait son milieu, il a montré
son coeur.
Il sentait bon. Il sentait immensément grand. Ce n'était pas nécessaire,
on en avait déjà vu, mais il a envoyé des dauphins. Représentation privée. À
moins de dix pieds du voilier.
Pendant plus d'une heure, il nous a aspergés de longs baisers mouillés.
En retour, on lui a chanté du Vigneault. On dirait qu'il aime bien Vigneault,
l'océan.
Vers un nouveau record
Le skipper Erwan Leroux (FenêtréA
Cardinal 3) pourrait fort bien fracasser un record de la Transat Québec
Saint-Malo pour la traversée de l'Atlantique la plus rapide. La précédente
marque date de 2008, quand l'équipe du Malouin Franck-Yves Escoffier avait
parcouru la distance en 11 jours, 3 heures, et 19 minutes.
Pour se faire, Leroux devrait atteindre la destination finale avant jeudi
soir (heure de France), alors que le skipper de FenêtréA Cardinal 3 est attendu à St-Malo dans la nuit de
mardi à mercredi, si aucun malheur ne lui arrive. Leroux était toujours en
plein contrôle de la situation, hier après-midi, lors de la dernière mise à
jour du site Internet de la Transat, alors qu'il menait la course dans la
Classe Open avec une avance de 520 milles nautiques sur le voilier le plus
près, Vers un monde sans SIDA.
Dans la Class40, Halvard Mabire (Campagne
de France) était toujours premier, avec 25 milles nautiques
d'avance sur Sébastien Rogues (Eole
Generation - GDF SUEZ). Jorg Riechers (Mare) et Fabrice Amedeo (Geodis)
suivaient à quelque 44 milles.
Notre collègue journaliste Simon Boivin et ses coéquipiers de EDF Energies Nouvelles occupaient pour
leur part le 10e rang, avec un retard de 134 milles. Pour suivre la Transat
sur Internet : transat.korem.com/course.
Matthieu
Boivin
Publié le 30 juillet 2012 à 05h00
Garçon? Pour le café,
attendez un peu..
L'équipage du
EDF Énergies nouvelles s'affairait à récupérer le grand spi déchiré de haut en
bas qu'il faudra envoyer à l'atelier.
Simon Boivin
Le Soleil |
Ouch! La catastrophe. Comment une journée qui avait si bien commencé
peut-elle se gangrener de la sorte? Aussi vite.
Au petit matin, le skipper du EDF Énergies nouvelles, David Augeix,
s'est délecté du dernier bulletin météo. «Avec ce temps, on est presque sûrs
d'être à Saint-Malo le 4 août à 8h. On pourrait quasiment se commander des
cafés au bistro du port.»
Engoncé dans son sac de couchage, le second, Rémi Fermin, regardait de
loin les mêmes informations. «Super. Plus que deux empannages [changements de
direction] et on arrive.» Il s'est remis les écouteurs de son iPod dans les
oreilles et a plongé au pays des rêves. Cette météo annonçait du vent
favorable, et très peu de manoeuvres en perspective.
Quelques heures plus tard, ce même Rémi, à la barre cette fois, hurle:
«David! David!» Tous sur le pont. La corde qui hisse le spinnaker, la voile à
la superficie la plus large, au haut du mât a cédé. Paf. Du coup, la précieuse
voile se retrouve à l'eau. Avec le risque de passer sous le bateau, et d'être
réduite en lambeaux par les safrans (gouvernails).
Tout le monde se précipite. La voile est récupérée saine et sauve. Le
petit spinnaker est mis en attendant qu'une autre drisse permette de hisser à
nouveau le grand. Question de ne pas perdre trop de vitesse entre-temps.
Lorsque tout est revenu en place, le skipper Augeix a dû l'admettre: «Le café,
ce sera peut-être plus pour 9h».
Un équipage a droit à huit voiles différentes pour la Transat. Chacune a
ses particularités qui la rendent plus performante selon la force et la
direction du vent du moment. Le grand spi est parfait pour ce qu'on a eu dimanche
et qu'on aura aujourd'hui.
Peut-être 45 minutes plus tard, alors que tout semblait revenu à la
normale, c'est au Soleil de sonner
l'alarme. «Le spi est à l'eau!» Tous sur le pont, encore. Mais là, le constat
est beaucoup plus grave. Il est déchiré. De haut en bas. On le remonte
péniblement. Rien à faire. Faudra l'envoyer à l'atelier. On a perdu notre
grand spi. Foutu. Ça fait physiquement mal. Il est à peine 8h du matin.
Insérez votre juron préféré.
«On rentre à Saint-Malo. La course est terminée.» Il a dit ça, le skipper Augeix. Deux fois plutôt
qu'une. «La course est terminée.»
Dur coup
De lourdes minutes de silence se sont installées une fois rapaillé le
grand spi et mis à sa place le petit. On veillait le mort. Dur coup. Le
premier vrai.
«C'est sûr que ça pénalise», a constaté Rémi Fermin. Pendant que les
autres tirent le maximum du vent, nous sommes handicapés de deux ou trois
noeuds à l'heure pendant deux jours.
Puis, l'Américain Jeffrey Macfarlane, un marin compétent et volontaire,
suggère qu'on lève aussi la trinquette, la plus petite voile à bord, en plus
du petit spi. «Ça peut aider un peu», note-t-il.
Le skipper s'est gratté la barbe
de sept jours quelques secondes. Et jugé l'idée bonne. Deux voiles sont
hissées à l'avant de l'EDF, plus la
grande voile. Et, dans 48 heures, il était de toute façon prévu de passer au
petit spi. Les autres voiliers ont peut-être aussi quelques pépins que nous
ignorons.
Puis, Augeix a passé du temps à vérifier des trucs à gauche à droite pour
«pas qu'il nous arrive d'autres conneries». Jusqu'à finalement avouer qu'il
mitonne une stratégie pour grappiller quelques rangs au classement. Battre des
bateaux plus performants aurait été satisfaisant. Mais, dans les
circonstances, tâchons de finir en tête des six bateaux vintage de la Class40.
Non, la course n'est pas terminée. Un golfeur peut perdre son bois numéro
un et faire tout de même une belle partie. Un joueur d'échec ne s'avoue pas
vaincu parce que sa reine est tombée.
La course n'est pas terminée. Mais pour les cafés, garçon, vous pouvez
attendre un peu?
Publié le 30 juillet 2012 à 07h53
Toujours une chaude
lutte entre les voiliers
Olivier Parent
Le Soleil |
||
Plus la Transat Québec-Saint-Malo avance, plus elle se ressemble. Le
trimaran FenêtréA Cardinal dominait
toujours largement la classe Open, dimanche, alors que la Class40 offrait
toujours une chaude lutte au coeur de l'océan Atlantique.
Lors de la dernière mise à jour du site Internet de la Transat, dimanche,
en fin d'après-midi, FenêtréA Cardinal,
du skipper Erwan Leroux, profitait
d'une avance de 541 milles nautiques sur son plus proche rival, l'embarcation Vers un monde sans sida, du skipper Erik Nigon. Il ne restait plus
à l'équipe de Leroux que 777 milles nautiques à parcourir avant de retrouver
la terre ferme à Saint-Malo, soit moins que la distance qui la séparait du
voilier en queue de peloton, Océan
Phénix. Celui-ci se trouvait à près de 859 milles nautiques du meneur.
Du côté de la Class40, les voiliers continuaient de se disputer une chaude
lutte pour arracher la position de tête. Seuls 11 milles nautiques détachaient
les meneurs (Campagne de France) de
leurs adversaires en deuxième position (Eole
Generation - GDF SUEZ).
L'EDF Énergies Nouvelles, à bord
duquel se trouve notre journaliste Simon Boivin, occupait pour sa part la 14e
place.
Publié le 29 juillet 2012 à 05h00
Jour de pluie
Il pleut à
boire debout et il vente, mais du bon bord! L'EDF vogue à une vitesse de
«croisière» d'environ 10 noeuds.
Photo
collaboration spéciale Simon Boivin
Simon Boivin
Le Soleil |
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L'Atlantique fait le plein. Il pleut à boire debout du matin au soir. Mais
on s'en fout. Il vente. Et du bon bord.
L'EDF fonctionne à voile réduite
vu la force du vent, mais maintient une vitesse de «croisière» d'environ 10
noeuds. Les ajustements aux voiles ont été faits, et le pilote automatique
fait maintenant tout le travail. À moins que le vent ne varie et contraigne à
modifier le voilage, il garde le cap très bien tout seul. Sur Saint-Malo.
Encourageant que chaque mile nautique avalé nous rapproche de la France.
À l'intérieur de la cabine, tout est plutôt tranquille. Hormis le bruit
des vagues fortes qui frappent la coque et la secoue dans tous les sens. Le
skipper David Augeix et l'équipier Macfarlane font la sieste, tandis que le
second, Rémi Fermin, se fait une petite patience sur l'ordinateur de bord.
Ce Fermin est un marin assez incroyable. Couché dans sa bannette, dans la
cabine, il diagnostique mille et un petits problèmes sur le pont rien qu'à
l'oreille. Même sur une mer agitée, il bondit ici et là sur le bateau avec
l'agilité d'un chat. Il tenait la barre dans du temps mauvais au large de
l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Alors que, de l'intérieur,
l'apocalypse semblait tendre sa carte de visite, Rémi Fermin est rentré en
s'exclamant : «Woa, j'ai fait 21 noeuds de vitesse! (record du EDF: 24 noeuds) Vous auriez vu les
vagues, c'était trop bien!» Ça a quelque chose de rassurant. En même temps, il
faut qu'il se méfie. La même soirée, une déferlante l'a surpris et projeté de
la barre jusqu'aux filins arrière. Sans eux, on peut imaginer le pire.
Un grand livre ouvert
Rémi Fermin navigue depuis qu'il est né et lit dans les vagues comme dans
un grand livre ouvert. À la barre, il a un petit côté Gilles Villeneuve. Faut
que ça roule. Il avait son atelier de réparation de bateaux, à Nîmes, en
France. Mais il s'est lassé de réparer les joujoux des autres. Rémi Fermin
aimerait bien faire de la voile son seul et unique métier. La quête de
commanditaires n'est pas une chose facile. Le jeune homme de 28 ans en est à
sa troisième traversée de l'Atlantique rien que cette année.
Il y a autant de courses sur la transat que de bateaux qui y prennent
part. De votre ordinateur personnel, vous êtes plus à même de suivre les
péripéties de tout un chacun que nous à bord. On reçoit simplement quelques
classements quotidiens. Déjà hâte de savoir ce qui s'est passé dans le coin de
Saint-Pierre-et-Miquelon où les cartes semblent avoir été passablement
redistribuées. Ça jasera course sur les quais à l'arrivée.
Paraît qu'on sera assez choyés en ce qui concerne la météo et les vents
favorables d'ici la fin. Tant mieux. La traversée est tellement agréable au
soleil.
L'envoi de photos est plus problématique ces jours-ci. Vu notre position
plus nordique, l'angle d'accès à notre satellite est moins prononcé, ce qui
faiblit le signal et ralentit l'envoi de données, explique notre skipper.
Augeix a une peur bleue que le système de communication ne bloque et qu'il ne
puisse plus accéder à ses précieuses informations météo...
Publié le 28 juillet 2012 à 05h00
Le «poil à gratter» d'Agde
Le second Rémi
Fermin, l'équipier Jeffrey Macfarlane et le skipper David Augeix participent à
la Transat sans toucher de salaire. Ils le font pour l'amour de la voile et
pour se mesurer aux pros.
Simon Boivin
Le Soleil |
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(Québec) Dans la Transat, une majorité de marins professionnels,
entièrement rémunérés et commandités, équipés de bateaux quasi neufs, font de
la course leur métier. C'est à eux que le skipper David Augeix, qui course en
amateur, préfère donner des sueurs froides.
Sans l'accident de la bouée, la semaine avant le départ, la commandite
d'EDF Énergies Nouvelles, l'employeur d'Augeix, lui aurait permis de couvrir
les frais de la Transat. Mais voilà, une fois les comptes faits, il aura à
débourser de sa poche.
Il prend le départ de la transat avec son bateau âgé de cinq ans, moins
performant, et sur son temps de vacances. Comme ses équipiers Rémi Fermin et
Jeffrey Macfarlane, sans salaire. Au fond, à bord, le seul payé est le
représentant du Soleil. «La
prochaine Transat, je fais journaliste», blague le skipper.
Augeix course parce qu'il raffole de la voile. Au fond de lui-même, le
résidant d'Agde, dans le Languedoc, où l'EDF est à quai dans le golfe du Lion,
sait la première place pratiquement inaccessible. Mais il ne déteste pas
montrer de quel bois il se chauffe.
«J'aime bien être le poil à gratter des autres» coureurs, confesse-t-il.
Voir l'EDF et ses «amateurs» leur coller aux fesses, voire les dépasser,
doit donner une petite leçon d'humilité aux «pros». Même si les choses
changent rapidement en course, tôt vendredi, à un moment, l'EDF se classait
septième. Ceci étant, lorsqu'au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, notre
bateau a rejoint l'un des meneurs - un «pro» - qui était loin devant dès le
départ, la première réaction d'Augeix a plutôt été l'empathie. Quelle série de
malheurs avait bien pu lui faire perdre autant de terrain? «Il doit les avoir
là», fait-il, avec ses deux mains en boule à la gorge.
Terre-Neuve a disparu depuis plusieurs heures. Terminés les passages
obligés, les bouées à contourner. Maintenant, premier à Saint-Malo, par le
chemin jugé le plus rapide, chacun pour soi et que le meilleur gagne.
Le skipper du EDF Énergies Nouvelles opte pour une route plus au nord. «Le
chemin le plus court», remarque-t-il. En raison de la rotondité de la terre,
la distance à parcourir est moins longue par en haut.
Route romantique
Cette route est aussi la plus romantique pour le Français, dont les
ancêtres marins venaient pêcher la morue au large de Terre-Neuve en empruntant
la même voie. Mille fois moins équipés.
Comme les positions en course, les conditions météo changent sans cesse.
Il y a eu du gros temps dans la nuit de jeudi à vendredi. On en a perdu une
manivelle de cabestan. N'en reste plus qu'une grosse. Le bateau craquait de
partout. Avant le départ, le président de la Transat nous prévenait qu'on
allait passer deux semaines «dans une machine à laver». La comparaison nous
est apparue extrêmement bien choisie.
Vendredi, gros soleil, ciel plein bleu. Tous en profitent pour étendre à
l'extérieur des vêtements qui n'en finissent jamais de sécher dans la cabine.
Mais d'autres systèmes dépressionnaires nous attendent au détour.
La traversée est la troisième de quatre étapes de la Transat, formule
Augeix. D'abord le fleuve, puis le passage à Saint-Pierre-et-Miquelon, la
traversée puis la Manche, dont les conditions sont réputées pas toujours
faciles.
En attendant, Augeix et les équipiers du EDF ont constamment l'oeil sur
l'ordinateur de bord et ses modèles météo, étudient le positionnement des
autres et définissent leur stratégie d'action.
Les calculs sont constants. Aucune manoeuvre n'est épargnée pour filer le
plus rapidement possible.
Il peut certes être amusant d'être le «poil à gratter» d'un autre. Mais ça
se mérite.
Publié le 27 juillet 2012 à 05h00
Prochaine terre, la France
Simon Boivin
Le Soleil |
Il
arrive, au large, que de petits oiseaux égarés viennent se poser sur le
bateau. Épuisés, c'est souvent pour venir y mourir.
Contourner la bouée de Percé, à 3h du matin mercredi, avait quelque chose
de magique. Se faufiler entre l'île Bonaventure et le fameux rocher de nuit
s'écarte beaucoup du tracé touristique habituel.
Chose faite, le cap est mis sur les îles Saint-Pierre-et-Miquelon, de
l'autre côté du golfe, près de Terre-Neuve.
«From here, it's open water»,
lance le skipper David Augeix à Jeffrey Macfarlane. «All right», fait l'Amerloque. Quelques
heures plus tard, on ne voit plus du tout la côte. Que de l'eau. Sinon que les
Îles-de-la-Madeleine et l'île aux Oiseaux qui sortent la tête chacune leur
tour.
Vrai que le terrain de jeu du voilier s'est considérablement agrandi.
Plus de rivage ou de profondeur dont il faut se méfier. «Maintenant, dit
Augeix, on peut commencer à gérer sur 24 ou 48 heures. Dans le fleuve, on a
essayé de gérer aux deux heures, mais on a vite compris que ça se passait aux
cinq minutes.»
La haute mer est arrivée pour Le
Soleil en même temps que le mal du même nom. Une désagréable
nausée alimentée par le jeu de saute-mouton avec les vagues et
particulièrement forte en embuscade, c'est-à-dire à l'intérieur du bateau. Et
lorsque concentré sur l'écriture. En corollaire, la régularité des textes
risque encore d'en souffrir. Écrire sur le pont est meilleur pour le coeur,
mais la perspective d'une vague sur le portable réduit la témérité. Assez
étonnamment, le mal de mer perd son emprise pendant le sommeil.
Il est assez aisé de s'imaginer à quoi ressemble l'océan. L'eau cerne le
voilier, avec des ondulations plus ou moins fortes. On peut comprendre la
terreur qui habitait les marins du temps où l'on croyait la terre plate. La
fin du monde est tapie derrière chaque vague.
Les rivaux à l'oeil
C'est une assiette d'eau dont le rayon visible rétrécit avec le
brouillard. Mais, même en pleine purée de pois, un appareil de bord nous
indique où sont les rivaux. Il s'agit d'ailleurs de la première question de
quiconque revient d'une sieste. «Il est où Red, et Picoty, et Partouche, et
Bleu?»
Parce que la question taraude ceux qui ont lu les premiers textes,
revenons sur le système de seau qui fait office de toilette. Désolé pour ceux
qui déjeunent. Donc, le tout fonctionne très bien. Le seau est demi-plein
d'eau, puis le tout est jeté par-dessus bord.
Augeix charriait quand il a dit que ça se passerait sur le pont. Ça se
passe à l'intérieur, et le spectacle ne fait pas courir les foules. Vous aurez
compris que pour les besoins plus légers, personne à bord ne s'embarrasse
d'outil intermédiaire.
L'hygiène se fait principalement avec des lingettes humides, et un
shampoing à la bouteille d'eau de temps en temps. Après quatre jours à bord,
il y a nécessairement une petite odeur qui a élu domicile dans la cabine. «Tu
as senti? Ça commence à sentir le renard...»
Ce Augeix est une vraie machine à images.
Nous avons passé le point de non-retour en franchissant
Saint-Pierre-et-Miquelon en fin de soirée. Prochaine terre, la France.
Publié le 26 juillet 2012 à 05h00
Les voiliers au coude à coude à l'approche de l'océan
Jean-François Néron
Le Soleil |
(Québec)
Sur le point de sortir du golfe Saint-Laurent, mercredi, les participants à la
Transat Québec-Saint-Malo entreprennent jeudi la grande traversée de
l'Atlantique après une journée où chaque position était âprement disputée.
En début de soirée, mercredi, seulement deux petits milles nautiques
séparaient le meneur de la Class40, le skipper allemand Joerg Riechers (Mare), de la seconde position détenue
par Fabrice Amedeo et Armel Tripon (Geodis).
Quelque 32 milles nautiques (60 km) séparaient la 1re de la 10e position.
Filant à une allure moyenne de 8 à 10 noeuds, plusieurs des
20 voiliers de cette classe se sont échangé les positions en cours de
journée. Le skipper David Augeix (EDF
Énergies Nouvelles), que le journaliste du Soleil Simon Boivin accompagne, se
situait en 11e place à 37 milles nautiques de la position de tête. Un peu plus
loin (15e), se retrouvait le Bleu,
du Québécois Eric Tabardel. Le seul autre skipper du Québec en Class40, Robert
Patenaude (Persévérance),
fermait la marche, au 20e rang.
En début de soirée, seul le FenêtréA
Cardinal 3 d'Erwan Leroux avait atteint les îles
Saint-Pierre-et-Miquelon, dernière approche terrestre avant le grand bleu
océanique. Il était toujours bien en selle dans la catégorie Open à 101 milles
nautiques de son plus proche rival. Le skipper lévisien Georges Leblanc à bord
de l'Océan Phénix fermait la
marche de l'Open à 211 milles nautiques du meneur.
Mardi soir, le Class40 Partouche
du skipper Christophe Coatnoan a dû faire escale à Gaspé à la suite de la
rupture d'une ferrure sur le bout-dehors du voilier. Sur place, un soudeur
professionnel attendait le bateau pour la réparation. L'équipage reprenait la
course vers 1h dans la nuit de mardi à mercredi, rattrapant rapidement son retard.
Il pointait mercredi soir en 14e position.
Publié le 25 juillet 2012 à 05h00
Un spi la nuit
Simon
Boivin
Le Soleil |
Dans la
nuit de lundi, Le Soleil a été
interdit de pont sur l'EDF Énergies nouvelles. Excellente décision. Mère
Nature était d'une humeur à garder les marins d'eau douce à l'intérieur.
À 22h45,
mardi
Infographie
Le Soleil
Près de la bouée de Matane, en pleine noirceur, un coude à coude
spectaculaire s'est enclenché entre le bateau de David Augeix et quatre
voiliers proches concurrents.
Des éclairs rouges déchiraient le ciel pendant que l'équipage, fouetté au
visage par les embruns, se démenait pour tenir tête à ses poursuivants. La
journée, qui s'était empêtrée dans une pétole (absence totale de vent) tenace,
cédait sa place à une nuit agitée.
La première nuit à bord avait été plutôt agréable. Fraîche et tranquille,
sur un fleuve assez calme, éclairé par les villages côtiers et les étoiles. Le
feu de hune, une lumière fixée au mât pour observer les réglages des voiles,
offre une clarté enveloppante au bateau. Le sommeil a été difficile à trouver
entre les quarts d'une heure trente, mais pas à cause des sacs de voile qui
ont fait office de couchette. L'excitation du départ.
Un avant-goût de l'océan
La seconde nuit, par contre, a donné un avant-goût de l'océan.
Claustrophobe s'abstenir. L'une des ailes arrière de la cabine, où
s'entassaient bagages et équipements en contrepoids, a servi de caisse de
résonance au remue-ménage du pont. Le bruit des vagues qui cognent, de l'eau
qui défile juste en dessous, des cordes qui claquent sur le mât, des poulies
qui tapent, des manivelles qui s'actionnent et des équipiers qui s'époumonent
forment un vacarme incessant. Mais qui finit par faire partie du paysage. Et
auquel on s'habitue.
Mention honorable au spinnaker, le «spi», la voile la plus large du
bateau, utilisée en situation de vent de dos, dont le confort a étonné. Sa
capacité à épouser les formes du corps a beaucoup à voir avec les quelques
heures de sommeil arrachées au boucan de la nuit. Un gros pouf. On surveillera
sa disponibilité.
Cinq changements majeurs aux voiles pendant la nuit, sous de gros vents.
L'équipage a travaillé en forcené, parfois harnaché au bateau. À tour de rôle,
un membre venait se coucher à l'arrière pendant que les deux autres gardaient
le fort. «On aurait pu mettre le plus petit réglage tout de suite, remarque le
skipper Augeix. Mais là, ça voudrait dire qu'on fait de la croisière. Pas de
la course.»
Peu importe qui dort, l'heure du jour ou de la nuit, quand Augeix frappe
trois coups, tout le monde se précipite immédiatement sur le pont. C'est le
signal.
Au matin, au large des côtes gaspésiennes surplombées par des éoliennes,
après une nuit de bataille, quelques voiliers avaient distancé l'EDF. Un autre
trou d'air, archipluvieux tout l'avant-midi, leur a permis de disparaître de
notre horizon.
Quiconque doute du côté sportif de la voile n'a jamais pris un départ.
Sortir les voiles, tirer les cordes, faire les manoeuvres, décrocher ce qui
coince immanquablement, toujours en maintenant son équilibre sur la mer
houleuse. Au-delà de la forme physique, la discipline étonne par la quantité
de connaissances mécaniques, électriques, nautiques et géographiques qu'elle
requiert.
Publié le 24 juillet 2012 à 05h00
Les rois de la pétole
Pile
dedans. En pleine pétole. Pas un souffle. Les instruments qui boudent : zéro
vent, zéro vitesse. Fichtre, on dirait même qu'on recule. Faut sortir l'ancre.
Mettre
un voilier de course à l'ancre équivaut à placer un sabot de Denver à une
Formule 1 sur la ligne de départ. Il a pourtant presque fallu s'y résoudre,
lundi. Elle était sortie sur le pont, en train d'être assemblée. Un léger
frisson dans la voile a repoussé la pire option après le recul ou l'accident :
l'immobilisme.
Le
vent a faibli une bonne partie de la nuit de dimanche. Il a fallu travailler
sur les meilleurs réglages, changer de voile, pour ensuite remettre celle qu'on
venait d'enlever...
À
l'aurore, au large du parc du Bic, près de Rimouski, les dernières traces d'une
fine brume finissaient de s'envoler. Le fleuve a enfilé ses habits de lac
pépère. Juste pour garder le cap, le skipper David Augeix devait ramer avec le
gouvernail. Un voilier de la transat a pointé un bon moment en sens inverse,
vers Québec, la coque refusant d'obéir à la barre. Hormis ceux qui sont loin devant,
tout le monde est dans la même galère. Voiles vides. Fiers et puissants, ces
engins ont la binette basse quand le vent ne veut pas sortir pour jouer.
«Chez
nous, on dit que le baston [gros temps], c'est le diable, et que la pétole,
c'est sa femme», raconte le skipper Augeix. La femme du diable a donc planifié
une partie de ses vacances sur le Saint-Laurent.
Il
faut lui reconnaître que c'est particulièrement beau. Lundi, une baleine et
quelques phoques sont passés saluer l'EDF.
Apprendre la patience
Lors
d'une course entre la France continentale et la Corse, Rémi Fermin, second à
bord, s'est buté à trois jours de pétole au retour, alors que l'aller n'avait
pris que 24 heures. «La voile, ça apprend la patience, partage-t-il. J'avais
tendance à m'énerver facilement avant. Ça m'a bien calmé.»
La
voile, c'est aussi le jeu. Il faut parfois courir des risques. Augeix estime
avoir joué deux pokers depuis samedi avec son choix de trajectoire. Un qu'il a
gagné, avant La Malbaie, et un qu'il a perdu, plus tard dans la nuit. Au total,
on a reculé de quelques positions, mais les autres restent à distance de vue.
Encore plusieurs pokers avant Saint-Malo.
Il
faut «trouver l'air», qui ne tardera pas, et se parer contre la frustration
ultime : en manquer quand les autres en ont.
Recharger les batteries
«Il
y a quand même des choses qui se font mieux sans vent», constate malgré tout
Augeix. Il vient de passer une demi-heure acroupi à tripatouiller son
électricité de bord parce que la recharge de notre ordinateur, malgré un test
préalable concluant, faisait sauter un disjoncteur. Agaçant parce que cela
rendait la recharge impossible. Et que le portable de secours, que notre patron
nous a enjoint d'amener à bord «au cas où», est resté à la maison. Sacrifié au
nom de la légèreté. Mais ça va, là. Tout est beau. Pas besoin de l'inquiéter
avec ça.
Publié le 23 juillet 2012 à 05h00
Dans le peloton de tête
Notre
journaliste Simon Boivin prend part à la Transat Québec-Saint-Malo à titre
d'équipier à bord du EDF Énergies Nouvelles. Il raconte les péripéties de sa
traversée de l'Atlantique chaque jour dans Le Soleil et sur lesoleil.com.
Photo Le
Soleil, Patrice Laroche
Simon
Boivin
Le Soleil |
(Québec)
Ils sont «sport», tout de même, ces Français. Si vous leur faites rater une
manoeuvre, ils vous le diront comme ils le pensent. Mais si c'est leur faute,
ils l'admettront sans peine.
La veille du départ, le skipper David Augeix a prévenu. Les ordres
viennent, ils sont directs et impliquent une réaction immédiate. Rien de
personnel, absolument, mais «ça peut être sec». Des situations nécessitent une
prise en charge urgente afin de ne pas dégénérer. «Vite, vite, vite». Et c'est
bon pour tout le monde.
«Pour moi, en mer, "putain" et "con", ce ne sont pas
des mots, c'est de la ponctuation», blaguait le marin la veille du départ.
Chassé-croisé
Après l'épisode de la bouée frappée il y a une dizaine de jours, Augeix a
opté pour la prudence, hier, lors du départ de la transat. Pas question de
jouer du coude pour sa position et risquer d'endommager encore la bête. Reste
que le EDF Énergies nouvelles a drôlement tiré son épingle du chassé-croisé
initial où les voiliers se frôlent au point où les skippers s'interpellent les
uns les autres. Le bateau a passé l'ensemble de la journée au sein du peloton
de tête.
Clairement, les gars savent ce qu'ils font. Ils choisissent leur route en
fonction de leur propre évaluation, quitte à faire cavalier seul - ou presque
- d'un côté du Saint-Laurent. «Insiste plus pour me le dire quand tu penses
que je fais une connerie», demande Augeix à son second, Rémi Fermin, qui a compris
avant lui une situation.
Partout autour, les autres. Ceux qui nous pourchassent. Ceux que nous
poursuivons. Les écarts se creusent, puis se rétrécissent. Chaque manoeuvre
est épiée, décortiquées, pour tenter de deviner les stratégies des autres.
Comme les autres 40 pieds de course, le EDF est gréé d'une multitude de
poulies, auxquelles sont reliées des cordes de différentes couleurs,
elles-mêmes enroulées ici et là autour d'équipements de traction, de voiles ou
autres pièces du bateau. Les deux semaines de la traversée suffiront peut-être
à se familiariser avec l'ensemble des mécanismes.
En attendant, l'impression d'être parfois un encombrement pour un
équipage expert - et qui n'en tient pas rigueur - est difficile à dissiper.
Manoeuvres nombreuses
Le passage en eaux charlevoisiennes a été particulièrement prenant. Gros
vent de dos, manoeuvres nombreuses et des profondeurs parfois inquiétantes
pour un bateau dont la quille mesure trois mètres. Rémi entre aux deux minutes
vérifier si «ça passe» sur la carte de navigation, et demande quelques fois
l'imprimatur du skipper. «C'est fou d'aller aussi vite avec si peu de
profondeur», a remarqué Rémi. On frôlait les 18 noeuds (multiplié à peu près
par deux pour les km/h) avec sept mètres au profondimètre.
Les manoeuvres de navigation ont gardé l'équipage occupé tout l'après
midi. Il était loin, le déjeuner, lorsque vers 17h30, il a été possible de
prendre une bouchée. Le segment le plus difficile du Saint-Laurent est
derrière nous.
Outre le réglage des voiles, une partie du travail consiste à répartir le
poids du matériel à l'intérieur du bateau afin de favoriser son équilibre en
fonction du vent. La tâche est laborieuse puisque toujours à refaire. Mais
l'impact sur la rapidité est surprenant. Impressionnant quand même d'atteindre
La Malbaie en sept heures de voile seulement.
La nuit risque d'être longue. Déjà, le vent s'est beaucoup calmé. Les
voiles ballotent. Il faudra manoeuvrer pas mal pour tirer le meilleur de la
situation. «C'est pas facile, la pétole», laisse tomber Augeix. Les 15 ou 20
minutes de sommeil seront grappillées à gauche à droite.
Publié le 22 juillet 2012 à 05h00
La course et rien d'autre
L'équipe
de la transat Québec-Saint-Malo sur le EDF Énergies nouvelles : notre
journaliste Simon Boivin, Rémi Fermin, le skipper David Augeix et Jeffrey
MacFarlane
Photo Le
Soleil, Pascal Ratthé
Simon Boivin
Le Soleil |
(Québec)
«Et ça, c'est la toilette». Le skipper du EDF Énergies nouvelles, David
Augeix, désigne la cuvette qu'absolument rien n'isole du reste la cabine.
«Mais elle est cassée. Alors ce n'est pas ça qu'on va utiliser.»
Augeix est seul maître à bord après Dieu. Sa bouille sympathique et son
accent du Midi adoucissent l'évocation de certaines conditions spartiates de
la traversée.
Comme cette nécessité d'utiliser des seaux en lieu et place, et sur le
pont par-dessus le marché! Bon, allez, on est les quatre dans le même bateau.
Ce sera à classer au rang des expériences humaines. Juste le souhait qu'on ne
serrera pas la côte de trop près.
«Parfois la nuit, tu dormiras avec les pieds attachés.» Pardon? À
l'intérieur d'un voilier qui traverse l'Atlantique? «Oui, c'est parce que,
parfois, le coup que ça donne quand la coque frappe une vague, ça peut
t'éjecter de la bannette». Nous prendrons donc le forfait «dodo avec les pieds
sanglés».
Une chose frappe quiconque a fait un peu de voile de plaisance en
pénétrant la cabine d'un bateau de course comme l'EDF Énergies nouvelles. Le
confort a été totalement sacrifié sur l'autel de la performance. Pas le
moindre coussin. Que de la fibre de verre. Ici, on ne se prélasse pas. Ici, on
course. Dans un 40 pieds qui a du chien. Pas le plus neuf, mais dont le côté
«vintage» ajoute à la personnalité.
«Là, tu as la cuisine». Le skipper Augeix pointe la bouilloire accrochée
au-dessus du poste de contrôle avec ordinateur. Épaulée par un autre petit
brûleur au gaz, elle réchauffera l'eau pour les soupes, les sacs de nourriture
lyophilisée et le cannage stocké.
L'obsession du poids
L'obsession du poids du bateau est constante. Il faut voyager léger pour
être rapide. Le skipper va jusqu'à demander si on pourrait se délester du
minuscule feuillet d'instructions de notre caméra-vidéo. Alors on repassera
pour le Larousse. «Si on fait tout bien, on peut s'enlever jusqu'à cinq
kilos», qu'il dit. Certains équipages vont jusqu'à tronquer la moitié du
manche de leurs brosses à dents pour gagner en légèreté. Fou de même.
Les bannettes, deux couchettes installées chacune de leur côté à
l'arrière de la cabine, servent aussi à déposer les voiles. S'il y a une
voile, on dort par-dessus. Mouillée ou pas. Les bannettes sont fixées d'un
bord, et attachées de l'autres, de manière à pouvoir les ajuster selon
l'inclinaison du bateau en mer.
«Ceci étant, on ne connaît pas de marin masochiste», écrivait Augeix au Soleil lors d'un premier échange de
courriels dans lequel il prévenait du «confort sommaire» à bord. «Si nous le
faisons, c'est que les moments d'extase, rares dans nos sociétés, sont
nombreux dans une traversée... Surtout en course.»
Bouée frappée
Augeix a fait honneur au côté «irréductible gaulois» de son nom de
famille la semaine dernière, après l'épisode de la bouée frappée à
l'Anse-au-Foulon. Le genre de «connerie» qui lui a sans aucun doute valu des
railleries dans chaque marina du Saint-Laurent. Après une nuit au téléphone et
les pièces brisées en commande, Augeix, loin de se cacher, a suggéré lui-même
de suivre la course contre la montre des travaux du EDF. «Je me suis dit que
c'est le genre d'histoire à la con qui plairait aux journalistes», confesse-t-il.
La réparation de coque percée et du safran pulvérisé (une partie du
gouvernail) n'aurait pu se faire sans le second à bord, Rémi Fermin. Le
benjamin de l'équipage, à 28 ans, a déjà investi deux ans à construire son
propre bateau. À partir de zéro. Il s'est éreinté de longues heures à tout
remettre en ordre sur l'EDF. Rémi en a sablé un coup. «Du travail bien
fait», a salué Michel, propriétaire de l'atelier situé sur les terrains du
port, derrière la Bunge. Le marin connaît aussi le bateau comme le fond de sa
poche. C'est lui qui l'a convoyé de la France jusqu'au Québec pour la transat
Québec-St-Malo. Fermin sait tout faire, et il est d'un calme imperturbable. Il
a traversé l'océan sur des bateaux moitié moins gros.
L'incident de la bouée a de toute évidence entraîné le remplacement d'un
équipier. Augeix a parlé d'incompatibilité «caractérielle». Ce qui mène à
l'arrivée de Jeffrey Macfarlane, 30 ans, du New Jersey, qui a sauté dans sa
voiture dès qu'Augeix l'a appelé pour faire la transat. Solide gaillard, il ne
parle pas la langue de Molière, mais celle de la mer, comme les deux Français.
Il a saisi le fonctionnement du bateau en un tournemain. L'anglais fonctionnel
de ses équipiers suffit à se comprendre. Il n'en est pas, lui non plus, à sa
première traversée. L'adhésion du Yankee ajoute une saveur plus onusienne à
l'équipage original des «gars de la Méditerranée».
Si un mal de mer insoutenable devait terrasser le journaliste à bord, le
skipper Augeix offre une sortie de secours avant le point de non retour. Sans
rire. «Moi, je ne m'arrête pas. Mais, en passant près de
Saint-Pierre-et-Miquelon, on peut faire venir un zodiac. Tu enfiles ta
combinaison de survie avec ton portable à l'intérieur, et tu sautes à l'eau.
Le zodiac te récupèrera.» En voilà une autre perspective séduisante...
Publié le 22 juillet 2012 à 05h00
Les prédictions météo de Madame Irma
Simon
Boivin
Le Soleil |
(Québec)
Attablés face à leurs portables, les gars du EDF Énergies Nouvelles froncent
les sourcils. Rarement parler de la pluie et du beau temps aura été aussi
sérieux.
Une fois le moteur coupé, aujourd'hui, les voiliers de la transat ne s'en
serviront plus pour se propulser avant 5365 km. Sur les quais de Saint-Malo,
la gloire tend déjà les bras au meilleur à flairer le vent.
Depuis la France, la voix de Nicolas, un ami du skipper David Augeix, résonne
via Skype dans la cuisine d'une jolie maison louée, avenue De Salaberry. «Plus
je regarde les cartes, plus ça se complique, dit-il. Il y a une zone
perturbée.»
Notre skipper admire et respecte les capacités d'analyse météo de
Nicolas. Il nous demande de taire son nom de famille. Peut-être peur qu'on lui
pique. Hier soir aura été la dernière de trois séances d'entretien avec lui.
En mer, terminé. Plus d'aide de l'extérieur. Faudra se débrouiller avec
l'information publique disponible à tous.
Avoir Colette Provencher à bord ne serait d'aucun intérêt particulier. La
force de Nicolas, c'est qu'il est aussi un coureur. Il lit les cartes avec
l'oeil du gars qui navigue. «À partir là, faudra penser à relever la barre»,
conseille-t-il à un moment.
Les marins tentent de leur mieux de réconcilier trois modèles météo et
leurs prédictions divergentes. Ils prévoient les impacts sur la course presque
heure après heure dans le fleuve, dans le golfe, au large de
Saint-Pierre-et-Miquelon, puis en haute mer.
Relations avec les dépressions
Au bout de quelques jours, les prévisions météorologiques ne valent pas
cher la livre. «Ça devient les prédictions de Madame Irma», la diseuse de
bonne aventure, rigole Nicolas, de l'autre côté de l'océan.
En gros, la traversée s'organisera autour d'un phénomène principal avec
lequel les skippers entretiennent une relation amour-haine : les dépressions.
L'immense tourbillon de vent engendré dans une zone où la pression
atmosphérique diminue se déplace lui-même sur l'océan. Les marins voudront à
tout prix profiter de ses vents, mais éviter son milieu. Au centre d'une
dépression, pas la moindre brise. La pétole la plus complète. Mer d'huile.
Panne sèche. Pour des milles et des milles. «C'est comme le vide au centre du
tourbillon d'eau qui évacue une baignoire», illustre David Augeix.
Les coureurs devront prendre la ou les dépressions comme on prend un
train. Au bon moment. Trop tôt, il faudra l'attendre. Trop tard, on l'aura
manqué. Et savoir quand embarquer et quand en débarquer parce que sa course
nous éloigne trop de notre trajectoire.
«Une grosse partie de la course va se jouer dans le Saint-Laurent»,
prévient Rémi Fermin, notre second à bord. Un écart 10 ou 20 milles nautiques
à l'embouchure peut aisément devenir 100 ou 150 milles au fil d'arrivée.
Surtout si l'avance permet de profiter de conditions favorables face à la
dépression. Les deux premiers jours seront cruciaux.
Peu habitués au Saint-Laurent, nos coureurs devront tirer le meilleur du
courant favorable à marée basse, et ne pas être surpris par le montant. Aussi,
les reliefs du paysage, plus ou moins montagneux, feront dévier le vent qui se
jouera sournoisement des skippers. Des décisions rapides à la chaîne. Action
réaction. Jour et nuit.
En pareilles circonstances, il ne faut pas se surprendre si les bateaux
s'espionnent les uns les autres. Soit pour se rassurer sur leur propre ligne
ou pour envier le gonflement des voiles d'un autre et tenter de l'imiter.
Pas question d'admettre que, vu son âge par rapport à la flotte, l'EDF
Énergies Nouvelles a très peu de chances de l'emporter. Terminer parmi les
cinq premiers relèverait déjà de l'exploit. Même untop 10 serait remarquable
pour le bateau construit en 2007. Les gars ne veulent rien entendre. On vous
l'a dit, c'est un équipage français.
«Ce sera aux autres à se positionner par rapport à nous», fronde avec un
large sourire notre skipper.
* Le commanditaire du voilier de
David Augeix, Électricité de France (EDF) Énergies Nouvelles, prend à sa
charge les frais de la traversée du Soleil, exception faite de l'équipement et
du retour.
Publié le 15 juillet 2012 à 05h00
Transat: «des gens sympas» à la rescousse de David Augeix
Rémi
Fermin (à gauche) affiche une mine déconfite alors que le skipper David Augeix
appelle en France pour commander en «expédition urgentissime» par avion la
pièce brisée, plus tôt cette semaine.
Photo Le
Soleil, Yan Doublet
Ian Bussières
Le Soleil |
(Québec)
«Merci, les Québécois! Vous n'avez pas des bouées très sympas, mais vous avez
des gens sympas par contre», a lancé samedi le skipper français David Augeix, deux jours après que son
bateau, le EDF Énergies Nouvelles,
ait été endommagé à la suite d'une collision avec une bouée lors d'une régate
amicale sur le Saint-Laurent.
Le skipper n'avait que de
bons mots pour les gens du Port de Québec, de l'organisation de Gestev et même
quelques-uns de ses adversaires qui lui ont donné un fier coup de main depuis
l'avarie afin de l'aider à remettre son voilier à point à temps pour le grand
départ de dimanche prochain.
«Serge Drouin de chez Gestev m'a trouvé une grue et le responsable
technique du port de Québec m'a amené l'électricité», expliquait-il pendant
que Rémi Fermin réparait la coque du navire, présentement en cale sèche. «En
raison de la marée, nous avons dû gruter le bateau dans la rivière
Saint-Charles», fait-il remarquer.
Impact localisé
«Il reste deux ou trois jours de travail sur la coque. Luc Forcier, du
voilier Sacremouille, et Éric
Tabardel, du Bleu, m'ont aidé en me fournissant les matériaux spéciaux dont
j'avais besoin», souligne M. Augeix. Heureusement pour l'équipage du EDF Énergies Nouvelles, l'impact est
demeuré localisé sur un mètre par 50 centimètres et ne s'est pas répandu à
toute la coque.
Quant au safran (la partie immergée du gouvernail) et au palier de safran
que le navire a cassés dans l'accident, l'équipe originaire du
Languedoc-Roussillon les attend au cours des prochaines heures.
«Dans la nuit de jeudi à vendredi, je suis resté en ligne avec les
chantiers français et les fournisseurs d'équipement. J'ai trouvé un palier de
safran qui doit m'être livré demain (dimanche) et un safran que je devrais
recevoir lundi. Il y aura ensuite du travail à faire sur ces pièces et, si les
délais sont respectés, tout devrait être prêt mercredi ou jeudi», commente le
capitaine.
«Et il s'agira de réparations permanentes. On pensait au départ faire une
réparation provisoire, mais en connaissant l'ampleur réelle des dégâts et avec
les matériaux de qualité fournis par Tabardel et Forcier, ça devrait bien
aller. Heureusement que nous avons Rémi, dont la spécialité est justement la
préparation et la réparation des voiliers de course. C'est pratique lors d'un
pépin pareil», conclut-il.
Transat Québec-Saint-Malo: une équipe fait un accident lors d'une régate amicale
Marie-Pier
Duplessis
Le Soleil |
(Québec)
«Tant que tu ne m'entends pas crier, ça va bien. Mais si je crie, c'est que ça
ne va pas.»
Le capitaine David Augeix a crié, jeudi, et sa participation à la Transat
Québec-Saint-Malo est maintenant menacée.
Le Soleil était à bord de
son bateau quand ce dernier est allé heurter une bouée d'acier à la hauteur de
l'Anse au Foulon. Ce qui devait être une simple régate amicale en compagnie
des médias, 10 jours avant la fameuse course de voiliers, a finalement pris
une tournure aussi dramatique qu'inattendue pour les trois membres de l'équipe
EDF Énergies Nouvelles.
«Rechoque, rechoque, rechoque! Je t'ai dit de rechoquer! Bordel!» s'est
époumoné le skipper, juché à la barre de son voilier. Trop tard. La coque
venait de frapper la bouée peinte en rouge, en plein milieu du fleuve
Saint-Laurent. Un deuxième impact et le safran à bâbord, qui oriente le navire
dans l'eau, a éclaté en mille morceaux.
«Ah non, putain, les mecs! Pas ça! Pas maintenant!»
Pas besoin d'avoir le pied marin pour comprendre que ce qui venait de se
produire était grave. Sans perdre une minute, l'équipage appelle à l'aide en
faisant signe à un autre bateau. «On vient de perdre un safran. Allez nous le
chercher, là, près de la bouée.»
Déconcertés par la tournure des événements, les trois invités à bord ont
observé en silence David, Renaud et Rémi tenter de reprendre la situation en
main. Un coup de fil rapide en France nous apprend qu'une «expédition
urgentissime» par avion sera nécessaire pour remplacer la pièce brisée. Le
skipper informe également son interlocuteur outre-mer qu'il n'y a pas de
danger puisqu'on ne prend pas l'eau. Pas de panique, alors!
Les six occupants retournent donc au quai plus vite que prévu, la mine
toute déconfite. «Ça ne devait pas arriver. C'est des conneries de débutants»,
rage le capitaine. Plutôt posé malgré le malheur qui venait de le frapper, il
trouve toutefois le moyen de voir du positif dans toute cette mésaventure.
«On était fin prêt pour le départ. On n'avait plus rien à faire sur le
bateau. Alors là, au moins, il y aura du boulot. On ne s'ennuiera pas.»
Si tout va bien...
Si tout va bien aux douanes, l'équipe originaire du Languedoc-Roussillon,
qui arbore le numéro 45, devrait recevoir sa nouvelle pièce vers le milieu de
la semaine prochaine. Elle devrait ainsi pouvoir prendre le départ comme prévu
le 22 juillet, aux côtés de 25 autres embarcations à voiles.
Mais chaque minute compte. D'ici là, il faudra lever le bateau de l'eau
pour entamer les réparations sur la coque. Il ne s'agit pas que d'un travail
esthétique. L'impact a été si fort que la structure est renfoncée, laissant
paraître de grandes fissures à l'intérieur, ce qui mine la solidité du bateau.
«On a été tous les trois fautifs. Je les ai avertis trop tard, ils ont
réagi trop tard. Ça ne m'est jamais arrivé d'abîmer un bateau. C'est vraiment
des bêtises», conclut David Augeix, qui compte déjà trois traversées de
l'océan Atlantique à son actif.
Accident possible en mer
Un accident comme celui dont Le
Soleil a été témoin pourrait également se produire en haute mer,
même si les chances sont plutôt minces étant donné l'expérience des marins.
«Des obstacles en mer, il y en a. Il y a des conteneurs, des baleines. Ça
peut arriver», affirme Rémi Fermin, membre de l'équipage de l'EDF Énergies
Nouvelles. Celui-ci gagne justement sa vie en réparant des bateaux de course.
«Moi, ce que je pense qu'il faudra faire, c'est une réparation
provisoire. Solide, mais provisoire. La réparation définitive se fera de
retour en France», dit-il, regrettant le manque de concentration des trois
équipiers. «Si c'était arrivé au large, on aurait été bien embêtés. Il aurait
fallu faire une réparation par l'extérieur, ce qui implique de faire pencher
le bateau sur le côté pour mettre du scotch.»Un tout petit peu d'eau s'est
infiltrée à travers la crevasse. «Ça aurait pu être beaucoup plus grave que ça»,
convient le matelot.